Florence Nevers
Florence Nevers
Tout commence par un événement annuel à La Rochelle,
Le Grand Pavois, salon nautique qui se tient en septembre.
En 2010, la plongée sera à l’honneur, le comité départemental
de la Fédération Française d’Etudes et de Sports Sous-Marins
aura un stand de 75 m2 que je vais décorer.
L’idée est d’attirer l’attention des visiteurs sur la diversité de la faune atlantique visible en plongée, et de les sensibiliser
aux conséquences directes de nos petits déchets faiblement biodégradables…
Toutes ces choses qui s’accumulent sur les fonds et les plages, échouées, avalées, jamais digérées.
Les tortues-luth en sont victimes, les sacs plastiques flottant entre deux eaux ressemblant aux méduses dont elles se nourrissent. C’est fatal, elles meurent noyées.
Je vais recréer une épave sous-marine, la faune qui vit
dedans et autour, et 2 géants que l’on y rencontre parfois,
La tortue-luth et l’étrange mola-mola ou poisson-lune.
Je me suis donné un challenge :
Le décor sera fait de matériaux recyclés et recyclables :
Du carton, du papier-journal, du fil-de fer.
Le reste, c’est-à-dire la colle à papier-peint, les peintures seront acryliques, choix qui s’impose pour la rapidité du séchage.
Je ne connais pas de peintures artistiques bio, et si l’on peut faire de la colle avec de la farine, cela me dérange sachant que des gens ont faim sur cette planète.
Vous pourrez suivre sur cette page toute la construction du décor, jusque son installation sur le stand en septembre.
Par ordre d’entrée en scène :
Les aquarelles avec lesquelles j’ai présenté ce projet au
comité départemental de plongée de Charente-Maritime.
Les «bestioles», des modèles réduits car la tortue,
le poisson-lune et tous les autres poissons seront sur le stand en grandeur nature.
Les modèles réduits suffisent à démontrer l’incroyable légèreté et la solidité du papier-mâché, j’ai un budget.
La construction se fera dans un atelier du coté de Surgères,
un cadre verdoyant, des petits oiseaux, et le luxe c’est que je ne serai pas seule, Eric Ory et Michel Aubert vont m’apporter leur soutien ainsi que leurs compétences.
Le dauphin est un dauphin «bleu et blanc», merveilleux
compagnon des marins et des plongeurs qui ont la chance d’en rencontrer ! Cette espèce est présente dans tous les océans, sa taille peut atteindre 2,40 m.
Sa population est aujourd’hui menacée par la surpêche,
6 000 individus sont tués chaque année au Japon…
Les grandes roussettes, appelées aussi «chiens de mer»,
sont de petits squales mesurant + ou - 1,20 m.
Inoffensives, on les rencontre en Atlantique et en Méditerranée.
Sur les étals des poissonniers, dépouillées de leur peau,
on les trouve débitées en tronçons sous l’appelation
«saumonette».
C’est pourtant plus joli vivant que mort.
Je ne mange pas de poisson, je n’ai pas de problèmes de mémoire ou de carences…
Le décor :
1 - L’épave - Début le 13 mai 2010.
Elle est composée de membrures (les «côtes» du bateau), et
de bordés (la «peau» qui recouvre les membrures à l’interieur
et à l’extérieur du bateau). Ce sont les parties qui représentent
le mieux une épave sous-marine dans l’esprit du grand public.
J’ai récupéré de la documentation telle que l’image ci-contre,
pour réaliser des formes justes.
Michel et moi construisons un gabarit en bois, sur lequel nous
appliquons du grillage à poules, qui sera l’armature du papier
mâché.
Le résultat est décevant pour la membrure, le papier
ne tient pas sur un volume ouvert.
En revanche pour les bordés qui sont des volumes fermés la technique est au point.
Nous décidons de faire un essai avec une armature de carton
qui sera recouverte de papier-mâché.
L’encollage est une phase importante, sa qualité assurera la solidité du modèle.
Il faut croiser les couches de papier journal, les lisser pour ne pas laisser de bulles d’air.
nous sommes tributaires de la météo et du taux d’humidité qui allonge le temps de séchage, nous sommes impatients de
démouler cette membrure et de se lancer dans la production !
Le papier-mâché réagit mal aux sources de chaleur, il se rétracte, gondole, nous devons laisser faire le temps…
le baromètre remonte, c’est bon signe !
Eric prend en charge la construction des membrures,
l’atelier s’organise et prend un bon rythme, nous sommes confiants, nous tiendrons le délai.
Il y a encore beaucoup d’autres choses à construire,
je vais pouvoir me consacrer aux éléments «vivants» du décor.
Eric assure le ravitaillement de l’atelier en vieux journaux
récupérés dans des cafés qui ont l’amabilité de les réserver.
«L’équipe» et les journaux de turf ne valent rien pour l’atelier,
on ne peut pas déchirer de bandes de papier dedans, ils
s’émiettent. Peut-être sont-ils déjà issus de quelques recyclages, ceci dit pour prévenir ceux et celles qui seraient
tentés par l’expérience !
Des morceaux de carton sont collés au dos des membrures
pour prévenir un effet de vrille quand elles seront en place dans le décor, verticales.
Enfin, après quelques jours nous disposons de suffisament d’éléments pour se faire une idée, les proportions sont correctes, les membrures se tiennent bien.
Il en faut 12 comme celles-ci, plus les bordés.
L’effet est tel que je l’ai imaginé, je souhaite que les visiteurs aient envie d’aller découvrir ces vaisseaux fantômes et cette vie cachée sous les eaux…
Il faudra les peindre, mais je verrai cela plus tard, quand nous aurons terminé la phase de construction.
La tortue, le poisson-lune, les bars, les lieus et les tacauds
et si j’ai le temps bien d’autres encore nous attendent…
2-La tortue-luth
Je suis allée voir la tortue-luth en résine qui est suspendue dans le hall de l’aquarium de La Rochelle, pour sentir les volumes et apprécier sa taille réelle.
Ensuite mon expérience des modèles réduits m’a servi pour
mettre en place la forme générale de la bête.
A ce stade, il faut quand même de l’imagination, car j’ai prévu
des marges de correction…
Les petits modèles étaient faits d’un seul morceau de fil de fer
pour que l’ensemble soit naturellement solidaire.
C’est pratiquement le cas aussi pour la grande, mais les portées entre l’avant et l’arrière de la carapace nécessitent l’ajout de structures à l’intérieur, type «Hindenburg» !
Michel se charge de ces éléments, les met en place, apporte ses trucs, des solutions, des compétences indispensables
pour voir le rêve exister.
Pendant ce temps je travaille sur l’avant de la tortue,
il faut avancer, nous avons hâte de la voir se matérialiser.
Le papier journal est un matériau délicat à manipuler dès qu’il est encollé, c’est un jeu de patience…
Un grand moment, la pose des yeux !
Des boules de cotillon taillées au cutter, collées avec la colle
à papier-peint. Cela donne à notre créature un air de poisson bouilli, mais pas de panique, ça va s’arranger…
Je travaille sur plusieurs parties de la tortue à la fois, laissant sécher ici pour revenir plus tard.
Le 28 mai.
Vue de l’arrière, elle semble planer au dessus de la table…
La partie avant d’une tortue est assez massive, je fais le choix de réaliser ces volumes en creux.
Je colle des bandes de papier d’un point à un autre, ces bandes une fois sèches me serviront d’appui vers d’autres points et ainsi de suite, jusque l’obtention du volume souhaité.
Je conserve ainsi l’une des propriétés du papier-mâché, sa légèreté malgré les apparences.
Nous avons mesuré la tortue : 2,40 m de long du museau
au bout des pattes arrière par 2,10 m de large d’un bord à
l’autre des pattes avant. La taille réelle.
La tortue-luth est la plus grande des tortues marines,
elle fréquente nos côtes en été, oui oui, les tortues ne vivent pas toutes sous les tropiques.
Elle pond ses œufs sur les cotes de Guyane, se nourrit
principalement de méduses.
Menacée de disparition, elle est inscrite sur le registre de la
CITES, convention internationale sur le commerce des espèces de faune et de flore menacées d’extinction.
On ne connait pas sa longévité, on ne sait presque rien de sa vie qui se déroule en mer, loin des Hommes.
Les œufs sont déterrés pour être mangés, les petites tortues sont désorientées par l’éclairage des plages aménagées pour les touristes et ne retrouvent pas l’océan, les adultes sont tuées pour servir des plats «locaux» aux crétins voyageurs…
J’aime la tête de cette tortue, car j’ai réussi à lui conserver
son caractère de reptile…
Le 04 juin.
Voilà, j’estime que la tête, la nuque et la gorge de la tortue
sont terminés.
Les bases de papier sont posées presque partout, je vais reprendre les pattes pour leur donner une musculature.
Il faut ajouter 2 crêtes sur la carapace qui en compte 7.
Le 08 juin.
En sèchant, des creux sont apparus sur la carapace, j’essaie
de les compenser, je suis décue, les premiers résultats ne sont pas à la hauteur ! J’ai l’impression de ne pas avancer, mais en fin de journée je remplis les creux de papier journal sec,
chiffonné, et je le couvre de bandes encollées.
je dois patienter 1 nuit, les volumes obtenus vont se tasser.
On s’approche de la forme définitive, la dernière technique est
efficace. Le profil de la tortue est en place, les pattes ont des muscles. Nous retrouverons la tortue plus tard,
le Mola-mola est apparu…
3 - Le Mola-mola ou poisson-lune
J’ai tracé le contour du poisson sur le sol et nous l’avons suivi
avec le fil de fer. Michel qui avait déjà organisé toute la structure mentalement s’est chargé du montage et ce fut presque facile !
Que savons-nous des poissons-lune ?
Ces étranges créatures vivent dans les océans tropicaux et tempérés, se nourrissent de zooplancton, de méduses, de petits crustacés.
Ce sont les plus grands des poissons osseux (les requins sont
cartilagineux), leur taille moyenne est de 1,80 m du museau à la queue par 2,40 m du sommet de la nageoire dorsale au bout de la nageoire anale. Poids : 1 tonne.
Le plus grand spécimen connu à ce jour fut découvert en 1908 en baie de Sydney, Australie. Il mesurait 3,10 m de long par 4,26 m de haut et pesait 2235 kg…
Les femelles pondent jusqu’à 300 millions d’œufs, mais peu d’entre eux parviendront à une taille d’adulte. Les petits poissons-lune vivent en groupe, puis se dispersent.
Ils fréquentent toutes les hauteurs d’eau, de la surface aux
grands fonds.
Adultes, leurs seuls prédateurs sont les requins, les orques et
les lions de mer. Leur peau épaisse, 15 cm, les protège des autres. Ils sont pourtant en nette régression dans tous les océans, victimes des filets de pêche et des sacs plastiques
confondus avec des méduses. S’ils ne meurent pas noyés lors
de l’ingestion de ces sacs, leur digestion est impossible, les poissons-lune finissent par mourir de faim.
Les filets sont des fléaux pour l’environnement,
voici quelques chiffres :
Au large de la Californie et de l’Oregon, dans les filets de pêche à l’espadon les Mola-mola représentent 26 % du total des prises. Ils sont rejetés morts à l’océan.
Sur le versant méditerranéen de Gibraltar, dans ces mêmes filets dérivants, cela monte à 71% des prises.
Source : http://www.oceansunfish.org/research.html
Pas de chiffres pour la pêche française; Pas de problèmes…
S’ils sont consommés dans toute l’Asie, le commerce et la consommation de leur viande sont interdits dans toute l’Union Européenne. On sait que les thons pris en Méditerranée par les thonniers français n’arrivent jamais à Marseille, vendus directement au large aux navires-usines japonais.
Les 71% de prises (accidentèles !) dans ces eaux ne sont pas perdues pour tout le monde…
14 - 15 juin.
La tortue est enduite de gesso, la lumière glisse sur elle délicatement, comme sur des moulages de plâtre.
Nous allons enduire de même les membrures et les bordés,
et le mola-mola dès qu’il sera terminé.
06 juillet.
23 juillet.
26 juillet.
20 août.
Le Mola est terminé, verni, mais le chantier n’est pas fini.
Il reste à peindre toutes les membrures, tous les bordés
grands et petits.
30 août.
Derniers coups de pinceau, notre épave est prête.
3,5 L de Gesso,
2,8 L de peinture: bleu outremer, terre de Sienne, jaune de Mars, noir d’ivoire, blanc de titane,
250 ml de vernis satiné,
5 pinceaux: 3 spalters et 2 brosses, soies naturelles,
x kilos de carton et journeaux…
30 L de colle à papier-peint !
31 août.
Voilà, je ferme les portes de l’atelier pour quelques jours,
ces 2 grosses bêtes ont une âme et j’ai l’impression de les abandonner. Cela fait 3 mois que nous travaillons dessus,
nous avons hâte maintenant de passer à l’étape suivante:
le transport et l’installation du décor.
12 septembre.
Nous sommes réunis pour un moment crucial, le transport
du décor, 30 km de petites routes. La tortue et le mola sont fragiles malgré tout, les pattes de la tortue ne doivent pas se trouver en appui.
Nous l’avons partiellement emballée dans du film,
l’envergure de la bête ne facilitant pas les choses !
Aprés quelques tours le film a été rassemblé en poignées.
C’est ici qu’il me faut remercier François et Isabelle Coureau,
qui ont mis à notre disposition leur camion bien équipé,
suffisament haut pour transporter une tortue-luth toutes ailes déployées.
François est tailleur de pierre, lorsque l’on visite son atelier il nous transmet son amour et sa connaissance de ces remarquables matériaux, issus de la nuit des temps et de tous les horizons. Son métier les fait entrer chez vous sans perdre leur âme, la Terre recèle des merveilles qu’il sait mettre en valeur. Visitez leur site: http://morycecreation.fr/
Le mola voyagera à plat, avec une niche de polystyrène
(je sais c’est pas bio, mais c’est de la récup aussi. Et on ne
l’a pas jetée), pour protéger sa nageoire pectorale.
La tortue est en suspension dans le camion, si bien arrimée qu’elle ne touchera jamais les bords, merci Michel.
On devrait tous apprendre les nœuds marins à l’école,
avec la lecture, le calcul et l’écriture…
Car ici tout a été fait avec UN SEUL BOUT.
13 septembre.
Nous voici à pied d’œuvre. Le stand fait 75m2.
Avec 2 bombes de peinture j’ai peint le miroitement de la surface vue de quelques mètres de profondeur, sur le haut des panneaux mis en place par l’organisation.
Puis ce fut la pose des membrures, ces grosses pièces courbes
qui rappellent la coque d’un bateau.
Voici la cloison qui sépare l’espace «visiteurs» de l’espace «vip»
Les bordés ont été cousus aux poutres et aux membrures à l’aide d’alènes, ces longues aiguilles de marins, et de fil de pêche.
Le Mola est en place.
La tortue nous attend tranquillement…
4 personnes pour hisser la tortue, le fil de pêche est réputé solide ! Chacun se montre patient, j’ai une idée très précise du mouvement que je souhaite lui donner.
On peut même passer dessous !
Entre-temps le scaphandrier est arrivé. C’est lui aussi une pièce importante du décor que j’avais rêvé.
14 septembre.
Les différentes commissions de la FFESSM de Charente-Maritime
vont arriver avec leurs panneaux de communication, les concours
photo seront accrochés, nous serons prêts pour faire découvrir
tous ces sports et en particulier la plongée aux 104 000 visiteurs
du Grand Pavois.
15-20 septembre 2010, ouverture au public.
Nous disposons d’une fosse vitrée et chauffée ainsi que d’une piscine aménagée pour les handicapés.
Les moniteurs présents feront 100 baptêmes de plongée par jour en moyenne pendant la durée du salon.
Avec ce stand nous avons pu sensibiliser tous les visiteurs à la fragilité des océans, des plages, des rivières.
Conception et réalisation d'un décor en papier mâché
Les plaisanciers rencontrent parfois des Molas faisant le plein de chaleur en surface avant de sonder.
Si c’est votre cas, cliquez sur le lien suivant:
http://www.oceansunfish.org/sightings/
Ce site recueille toutes les informations sur les Molas vus de part le monde. Comprendre leur mode de vie, leurs migrations, ce sont les premiers pas vers des mesures de protection mondiales.
Nous avons fait découvrir les sensations de la plongée, donné envie d’aller voir, d’admirer ces vies cachées.
Les plongeurs chevronnés ont fait des baptêmes de recycleur,
pour rester encore plus longtemps sous l’eau…